Jean-Michel GUENASSIA, Le club des incorrigibles optimistes

Publié le par Lucretius

Le roman s'ouvre sur l'enterrement de Jean-Paul Sartre en 1980, qui clot définitivement toute une époque. D'anciens amis ou camarades, qui ne s'étaient pas vu depuis l'enterrement d'un certain Sacha, se retrouvent pas hasard. Ils évoquent rapidement avec une pointe d'ironie ces années. Après cette ouverture qui esquisse l'ensemble, on plonge directement dans une fresque immense. Tout est centré sur le narrateur personnage, Michel, un lycéen, dont la mère est de famille bourgeoise, et le père d'origine prolétaire, beaucoup plus porté vers des idées subversives. Le grand frère, par ses relations et son tempérament, s'engage totalement dans les problèmes politiques de son temps. Michel va par ailleurs entrer dans un Club d'échecs au nom bien curieux : Le club des incorrigibles optimistes. Il s'agit essentiellement d'apatrides qui pour une raison ou une autre ont dû fuir la Russie, la Hongrie, ou la Grèce. Tous ont une histoire hallucinante. Le grand art de ce roman, est que Guénassia réussit à tresser ensemble tous ces destins divers, dans une construction exemplaire, et sans jamais qu'on sente la "reconstitution" historique. Quoi que tous les problèmes qui déchirent l'époque (communisme, guerre d'Algérie etc.) soient représentés, à aucun moment on a l'impression qu'il s'agit d'une leçon d'histoire déguisée, comme malheureusement avec Les sentinelles de Bruno Tessarech. Le regard point de vue choisi, de ce lycéen un peu rebelle, qui a déjà une forte personnalité, mais encore une certaine fraîcheur, sonne avec une grande justesse. À aucun moment on se dit que c'est fabriqué, que c'est anachronique, ou que ce qu'il dit est trop intelligent ou trop bête. Avec une matière si riche, si variée, Guenassia arrive à trouver une forme adéquate, ambitieuse, et qui rend compte avec simplicité de la complexité d'un monde. La variété des tons est merveilleuse : les descriptions de destins cassés côtoient les scènes cocasses. Le tout conserve malgré l'ampleur une véritable unité. Toutes ces qualités font que, même si le style est très discret, et disons-le presque inexistant, ce roman laisse une très forte impression. Vraiment, sans aucun doute pour moi, c'est l'un des meilleurs romans parus dans cette rentrée littéraire.

GUENASSIA (Jean-Michel), Le Club des Incorrigibles Optimistes, Albin Michel, 2009.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
Je vous remercie de ce compte rendu si clair. Il définit parfaitement une cible thématique qui m'intéresse vivement, et, par surcroit, s'articule sur la mort de Sartre qui a eu, fortuitement, une influence déterminante sur ma vie. Je vais donc me précipiter pour lire le livre aussitôt que j'aurai deux sous pour l'acheter.<br /> Mais vous écrivez que "le style est très discret, et même, disons-le, presque inexistant", et je me demande ce que vous entendez par là. Si vous le signalez, c'est que çà ne passe pas inaperçu et même que c'est assez remarquable pour être mentionné.<br /> Pourriez vous m'expliquer ce que vous voulez dire avec des exemples d'auteurs ou d'ouvrages connus "au style inexistant" ?<br /> Putakli
Répondre
L
<br /> Quand je dis que le style est discret, c'est précisément qu'il passe inaperçu, et qu'il est caractérisé par une certaine pauvreté. Je signale cela comme la grande limite de ce roman. Mais un style<br /> plat vaut toujours mieux qu'un style voyant qui maîtrise mal ses effets.<br /> <br /> <br />